Le 13 mai 2024, le Président du Conseil d’Administration de Gécamines SA, Guy-Robert Lukama Nkunzi, a prononcé un discours lors du Cobalt Congress à New York pour discuter du rôle essentiel de la République démocratique du Congo dans la chaîne d’approvisionnement internationale en cobalt.
Dans son discours, le président Lukama a souligné que Gécamines SA mène une stratégie proactive pour repenser la chaîne d’approvisionnement actuelle déséquilibrée du cobalt et cherche à renforcer la présence de la RDC tout au long de la chaîne d’approvisionnement pour accroître la capacité locale et promouvoir le développement économique.
Il a souligné la récente signature d’un partenariat stratégique entre Gécamines SA et UMICORE comme preuve de son engagement à « diversifier les sources de raffinage en développant la chaîne de valeur de tous les métaux en RDC ».
Ci-dessous l’intégralité du discours du Président du Conseil d’Administration y afférent :
Bonjour à tous,
C’est aujourd’hui un grand plaisir pour moi que de pouvoir m’exprimer devant une telle assistance et de consacrer ainsi formellement le retour de Gécamines au sein du Cobalt Institute dont elle a été l’un des pionniers, à une époque où le cobalt ne jouissait pas encore de cette qualification de «critical minerals».
Je suis heureux de voir que des hauts représentants de pays producteurs mais aussi des pays consommateurs se joignent à cet évènement. Cela témoigne de la prise de conscience collective et de la responsabilité qui est la nôtre de réfléchir au fonctionnement harmonieux de ce marché. Le cobalt doit en effet être disponible pour tous et de manière à pouvoir en préserver la valeur et l’utilité dans la durée.
Je suis honoré de parler après le Sous-Secrétaire d’Etat, José Fernandez, dont les propos témoignent de l’importance d’engager un débat entre tous les acteurs pour un marché plus équilibré. Je suis également très heureux de parler après le Représentant de l’Indonésie, dont les problématiques, nous l’avons entendu, sont assez communes avec les nôtres.
Mon honneur est grand de voir confirmer les options prises par mon Gouvernement à travers les propos de Son Excellence Madame la Ministre des Mines du Congo. Il y a incontestablement une base solide pour mettre en place les réformes voulues par tous. Et seul le Cobalt Institute peut nous offrir ce lieu de rencontre indépendant et participatif.
Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler combien la République Démocratique du Congo, compte, ou pèse, dans la production mondiale de cobalt : 139 840 tonnes de cobalt exportées en 2023 Ce que vous savez peutêtre moins, c’est ce que la Gécamines – à travers ses partenariats pèse plus de la moitié de cette somme et demain encore plus quand sa filiale, Entreprise Générale du Cobalt aura amplifié son activité sur le cobalt artisanal.
Malheureusement, malgré cette position unique dans le monde, en République Démocratique du Congo, et par construction dans le Groupe Gécamines, nous faisons face à un problème d’importance.
Le Conseil d’Administration que je dirige et qui a été installé en mars 2023 s’est trouvé rapidement confronté à une situation inquiétante sur le marché du cobalt, destructrice de valeur et d’emplois, d’autant plus inacceptable que le point de départ de ce boom de production a été principalement constitué par les apports successifs de gisements à ces partenariats.
Le gap entre ce que Gecamines et l’Etat en définitive reçoivent en termes de création de richesses, de création d’emplois pérennes et de diversification de son économie, et ce qui a été escompté en contrepartie de ces cessions massives des gisements, combinées aux réformes audacieuses du cadre règlementaire, demeure criant.
Loin de nous l’idée de tout remettre en question, mais clairement l’accélération désordonnée de l’épuisement des ressources interpelle car ne correspond nullement aux fondamentaux de la demande mondiale et aux business plan adossés aux études de faisabilité déposées devant les autorités congolaises.
Des mesures devraient donc être prises de manière coordonnée entre pays producteurs de cobalt afin de ne pas tuer l’intérêt pour le cobalt. Dans le cas de la RDC, l’urgence s’impose car les bases de l’effondrement des prix, de la constitution déraisonnable de stocks de cobalt et de l’accentuation des investissements en R&D pour se passer du cobalt ont leur racine en RDC.
Pourquoi en RDC? La surexploitation par rapport aux études de faisabilité déposées a contribué à accentuer l’excès de l’offre. Chaque jour qui passe, nous vidons un peu plus notre sous-sol de sa substance non renouvelable pour un retour financier quasi inexistant. Ce faisant nous creusons nous-mêmes, notre tombe, celle d’une opportunité manquée, celle d’une occasion unique qui nous était offerte en tant que principale nation mondiale productrice de cobalt de contribuer intelligemment à la révolution de la transition énergétique.
La politique définie par le Conseil d’Administration de Gécamines, et entérinée par son actionnaire l’Etat, consiste donc à valoriser le mieux possible et durablement la production minière de Gécamines, de ses filiales et de ses partenariats. Le mot « durablement » a toute son importance car nous n’avons pas une stratégie basée sur le prix du marché spot pas plus que nous n’avons de stratégie basée sur les volumes exportés.
Nous définissons des objectifs en fonction des fondamentaux de la demande globale que la production congolaise rencontrera, en tenant compte des évolutions sur les comportements de consommation de cobalt, en participant à la chaîne de valeur que crée notre cobalt et en privilégiant la transformation locale ou à tout le moins, en partenariat avec nous.
C’est donc pour sortir du système actuel, profondément déséquilibré, que nous avons repensé notre approche cobalt. Le système actuel, que nous subissons, alors même que la RDC demeure pour un court laps de temps en situation de quasi-monopole, est un système qui ne repose plus sur les fondamentaux normaux et sains d’un marché de métaux, nous devons ensemble porter des mutations saines avec le concours de tous les acteurs de la chaine de valeur.
Les faits sont simples, ils sont la représentation d’une offre excédentaire par rapport a la demande exprimée. Sans faire beaucoup de prospective et de modélisation particulières, l’arrivée de la production indonésienne et la montée progressive de la part du cobalt recyclé dans l’industrie consolident les volumes face une demande dans le secteur des batteries qui a évolué, avec l’émergence de la batterie LFP, la diminution permanente du poids du cobalt dans la batterie mais aussi, et c’est nouveau, le ralentissement de la demande des véhicules électriques avec l’atténuation des incitations fiscales qui accompagnaient l’acquisition de ces véhicules.
Nous avons donc des stocks qui s’accumuleront alors que cela ne correspond nullement à un équilibre souhaitable pour tous, tant les acheteurs que les producteurs. Si la chute des prix persiste, les opérations minières congolaises dont plusieurs sont nos JV rencontreront des problèmes de rentabilité, que la montée du prix de cuivre ne compensera pas forcément.
Ensuite, tout porte à croire que les raffineurs sont désormais ceux qui fixent les fondamentaux. A l’exception de certains opérateurs ayant des liens capitalistiques fort avec des producteurs de batterie, la distorsion de volume entre la demande exprimée et les volumes revient à constituer
progressivement des stocks hors de la juridiction de production. Cela pourrait s’apparenter à du transfer price au détriment des opérations minières.
Cette concentration de pouvoirs au niveau d’opérateurs intermédiaires n’est pas acceptable et devient la possible base spéculative que nous devons tous ensemble éviter. Voir l’indice SMM se substituer au LBMA sans que les fondamentaux ne le justifient a été pour nous un signal clair. La baisse des prix du cobalt est consécutive à la création de stocks. Pour ceux qui sont quasi en intégration verticale, c’est un intrant peu cher, pour d’autres, c’est l’impossibilité de développer toute activité sans être tributaire des raffineries.
C’est l’occasion pour nous de souligner les récentes annonces faites par Son Excellence le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo sur nécessité de contrôler au mieux la commercialisation du cobalt en RDC, car au-delà du prix, nous assistons à une accélération de la consommation des ressources, sans lien avec les études de faisabilité et les besoins de la demande mondiale pour la transition écologique. Il doit être mis un terme à cette situation préjudiciable. La RDC n’a pas vocation à être une zone de libreéchange de l’industrie économique mondiale, mais bien plus à devenir un espace d’équité au regard de son juste apport fait en cette période de transition énergétique planétaire.
De ce qui précède et pour conclure, Gécamines forme le vœu que Gouvernement puisse lancer une politique publique transparente et objective de régulation proactive des flux d’exportation en adéquation avec le besoin de la demande exprimée et en pleine synergie avec des pays qui pèseront désormais comme l’Indonésie.
C’est l’objet de l’orientation donnée par le Président de la République Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, lors du Conseil des Ministres du 9 février 2024, de prendre les mesures nécessaires afin de rationnaliser les exportations et préserver la valeur du cobalt sur les marchés. Il me semble clair que sans une politique concertée et ambitieuse, la situation n’évoluera pas, au détriment de la plupart des acteurs et pour le bénéfice de certains.
Je ne m’étendrai pas sur ce sujet qui concerne l’Etat au premier chef, mais pour lequel notre société, et ses sociétés partenaires sont intéressées afin de préserver ou accroitre leur chiffre d’affaires et donc leurs bénéfices.
Parallèlement, Gécamines promeut depuis plus d’une année désormais une stratégie proactive de commercialisation de la production congolaise issue de ses usines, de ses filiales et de ses partenariats afin de favoriser les meilleurs prix de vente de ses produits, de s’assurer de la disponibilité du cobalt congolais pour tous les horizons et ainsi mettre fin à cette fatwa implicite sur son cobalt, considéré comme chinois ou probablement extrait avec le concours des enfants ou toute personne fragile.
Nous refusons ce story telling injuste et pénalisant et souhaitons offrir à chacun une autre expérience pour le cobalt du Congo. Cette politique a deux objectifs principaux. D’une part, introduire plus de concurrence sur le marché actuel qui est caractérisé par la consanguinité du producteur et de l’acheteur, les deux étant souvent des filiales d’un même groupe. D’autre part, de permettre à la RDC de choisir ses clients et donc de se servir de sa position sur les marchés, comme d’un instrument de souveraineté.
Cette approche sera diffusée sur la plupart de nos JV car elle apporte de la transparence dans la fixation des prix de vente, évite le transfer price, accélère le remboursement des dettes des JV et permet d’escompter un dividende payable à tous les actionnaires.
Un autre axe qui nous tient à cœur est de rendre rapidement et pleinement opérationnel EGC, notre filiale trading de la production artisanale. Là aussi, nous visons la transparence et le juste prix mais Eric Kalala pourra en parler lors des sessions auxquelles il participe.
Notre dernier axe est celui de la transformation locale. Nous sommes d’avis que le cobalt devrait quitter le Congo sous une forme compatible avec le besoin du marché, le sulfate ou le métal et pas forcément celui des raffineries, l’hydroxyde.
Vous en avez peut-être entendu parler, Gécamines vient de signer avec UMICORE un partenariat à forte dominante technologique dans le domaine du Germanium. Ce que nous avons fait pour le germanium, nous sommes prêts à le faire pour le cobalt, c’est-à-dire à diversifier les sources de raffinage en développant la chaine de valeur de tous les métaux en RDC. Il n’y a aucune raison objective que 100% de l’hydroxide de cobalt produit en RDC parte à l’étranger pour y être raffiné.
Comme pour le Germanium, nous sommes donc désireux d’augmenter la plus-value de notre production nationale, en favorisant la transformation locale qui par ailleurs devrait avoir un débouché naturel depuis l’accord entre la RDC et la Zambie pour la production de batteries en Afrique, en partenariat avec les USA.
Toutes ces actions sont des objectifs de court, moyen et long terme, certains tributaires de tiers, de l’État régulateur et aussi des comportement de consommation. Nous sommes désormais agiles, alertes face aux besoins du marché que nous refusons de subir.
Mesdames et Messieurs,
Comme vous le voyez, nous avons les idées claires sur ce que nous voulons accomplir pour notre pays et notre entreprise. Le cobalt est une cause qui mérite une attention mondiale. Nous n’avons aucun ennemi, que des partenaires, à qui nous demandons de bien vouloir respecter nos intérêts.
Comme le dit le Président de la République, la RDC est un pays solution dans les grands défis que le monde affronte. Défi écologique avec nos forêts, défi alimentaire avec nos terres arables et le majestueux fleuve Congo, défi énergétique avec le lithium, le cuivre et le cobalt notamment.
Mais si la RDC a beaucoup à apporter au monde, il est également essentiel que le monde lui apporte aussi sa contribution.
Je vous remercie,